Déplacer des éléphants
Si l’automatisation des entrepôts progresse constamment, toutes les tâches pénibles n’ont pas été éliminées. Les marchandises doivent encore souvent être déchargées ou reconditionnées manuellement. Pour préserver la santé de ses collaborateurs et collaboratrices, Dachser a recours à une technique innovante : l’exosquelette.
Quelques clics sur le petit écran accroché à sa ceinture par un solide anneau en carbone suffisent à Patric Dandl, Deputy Shift Leader dans l’entrepôt Dachser de Langenau, près d’Ulm (Allemagne) pour faire le point : « Aujourd’hui, j’ai déjà transbordé deux éléphants », déclare-t-il en souriant. Les jours de pointe, il manipule jusqu’à 8000 kg.
Patric Dandl n’a pourtant rien d’un gardien de zoo charriant quotidiennement des pachydermes de plusieurs tonnes. Il utilise un exosquelette de pointe qui facilite le port de charges lourdes. Quand ils préparent les commandes, les collaborateurs de l’entrepôt alimentaire déplacent, en effet, des sacs de 25 kilos contenant, entre autres, des produits de boulangerie et des mélanges prêts à l’emploi. En une journée, ils manipulent jusqu’à 60 tonnes de marchandises, un effort considérable pour leur dos. «Cela ne pose pas de problème à nos collaboratrices et collaborateurs », indique Michael Trunk, Contract Logistics Manager Food Logistics au centre logistique d’Ulm, avant de préciser : «...tant qu’ils sont jeunes ». Avec l’âge, les douleurs physiques ont tendance à apparaître et à perdurer. Pour remédier à ce problème, Dachser cherche depuis longtemps le moyen d’assister ses salariés dans les opérations manuelles parfois pénibles, encore indispensables dans les entrepôts.
L’entreprise s’est ainsi tournée vers la robotique moderne, prisée par la science-fiction, mais aussi par la médecine. Utilisées depuis longtemps dans le domaine médical, des ossatures extérieures aident les soignants à soulever et à déplacer les patients, et soulagent les médecins contraints de rester debout pendant des heures en salle d’opération. Ces structures sont également développées pour rendre leur mobilité aux personnes handicapées ou souffrant de faiblesse musculaire. Elles trouvent désormais de plus en plus d’utilisateurs dans le secteur industriel.
Des combinaisons robotiques à enfiler
Après des essais concluants, Dachser a décidé de déployer, entre autres, dans son agence de Langenau, des exosquelettes utilisant l’intelligence artificielle, fournis par la société allemande German Bionic. Ces combinaisons robotiques se fixent comme un sac à dos avec des sangles situées au niveau de la poitrine et des cuisses.
Dachser avait déjà mené plusieurs projets pilotes en 2019 avec d’autres marques d’exosquelettes fonctionnant grâce à des ressorts mécaniques. Les exosquelettes Cray X sont, eux, dotés de moteurs alimentés par des batteries, qui aident l’utilisateur à soulever et à porter des objets lourds. La petite batterie de l’appareil peut fonctionner toute une journée sans être rechargée.
"Les exosquelettes aident à prévenir le surmenage et les accidents du travail. C’est une technologie d’avenir."
Michael Trunk, Contract Logistics Manager Food Logistics au centre logistique Dachser d’Ulm
La combinaison robotique ne transforme pas pour autant les collaborateurs de Dachser en super-héros capables de soulever n’importe quelle charge sans effort, même si Patric Dandl grince un peu comme un robot. Le léger bourdonnement qu’il émet lorsqu’il déambule entre les hauts rayonnages de l’entrepôt est dû aux moteurs miniatures chargés d’amplifier ses mouvements. Lorsqu’il se penche pour attraper un sac sur une palette, l’exosquelette veille à ce qu’il ne courbe pas trop le dos. Quand il se redresse, l’appareil détecte son intention et l’aide à se relever.
L’opérateur peut déterminer lui-même l’intensité de l’assistance ergonomique apportée par l’exosquelette. « Réglé au maximum, l’appareil vous tire immédiatement à la verticale lorsqu’il sent que vous voulez vous redresser », indique Patric Dandl. « C’est trop brutal pour moi, mais je n’ai pas l’impression d’être téléguidé. »
Les muscles ne sont pas entièrement dispensés de travailler. Toutefois, soulever un poids de 30 kilos avec une assistance demande à peu près autant d’efforts que pour soulever un poids de 5 kilos sans assistance. Cela soulage les lombaires, les épaules et les muscles du dos. Les disques intervertébraux étant moins sollicités, ce sont, à terme, des douleurs en moins.
« Comme il est de plus en plus difficile de recruter des jeunes dans les entrepôts, la moyenne d’âge du personnel est de plus en plus élevée. Nous souhaitons ainsi prévenir le surmenage et les accidents du travail. Cela évite aux collaborateurs d’adopter trop rapidement une mauvaise posture lorsqu’ils soulèvent des charges lourdes », explique Michael Trunk, Directeur de la logistique contractuelle.
Un outil plutôt cool
L’aspect « cool » de l’équipement est essentiel à ses yeux. Il permet d’éveiller l’intérêt des jeunes lors des salons de l’emploi et de la formation, car il est la preuve que les techniques modernes sont également présentes dans les entrepôts », poursuit-il, soulignant que les exosquelettes rendent le travail beaucoup plus attractif.
Des avantages que confirme Patric Dandl : « Le travail n’est pas forcément plus rapide, mais le dispositif apporte une aide qui se fait vraiment sentir à la fin de journée », déclare-t-il.
Selon Matthias Nitz, Deputy Warehouse Manager à Langenau, ces expériences favorisent l’acceptation des exosquelettes. Patric Dandl n’a eu aucun problème à s’adapter. « On s’habitue vite à porter l’exosquelette », confie-t-il, même s’il lui faut changer de t-shirt plus souvent, car le sac à dos bien ajusté le fait transpirer davantage.
L’inconvénient ? « L’appareil nous rend plus encombrants. Au début, on se cogne donc plus souvent », explique Patric Dandl. L’utilisation des exosquelettes exige une période d’adaptation. Avant de pouvoir travailler plusieurs heures d’affilée avec cette assistance motorisée, les collaborateurs de l’entrepôt doivent s’y habituer progressivement. Ils suivent à cet effet une formation intensive. Par ailleurs, le fabricant se rend régulièrement sur site pour faciliter l’usage des exosquelettes et recueillir des données pour de futures améliorations.
À Langenau, deux exosquelettes sont actuellement affectés à la préparation des commandes et au reconditionnement des palettes. « Il est également prévu de les employer pour le déchargement des conteneurs », annonce Michael Trunk. Le dispositif étant utilisé par plusieurs collaborateurs, les réglages individuels sont enregistrés et peuvent être retrouvés à l’aide d’un code PIN. À la fin de la journée, l’utilisateur peut voir le nombre de kilos dont il a été délesté. « En fin de compte, cela fait pas mal d’éléphants », conclut Patric Dandl en souriant.